Rapport annuel sur la situation des médias en Suisse 2018

A l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse ce 3 mai 2019, impressum-les journalistes suisses dresse l’état des lieux de la situation médiatique dans notre pays. L’époque est à la concentration et à la fusion des médias ainsi que de leurs imprimeries, menant à une situation quasi monopolistique, et plus grave encore, aux multiples attaques en justice visant des journalistes.

Concentration et fusion
Moins de deux cents journaux. C’est ce qu’offre aujourd’hui le territoire suisse en termes de nombre de publications de presse, alors qu’il en comptait 406 en 1939. Il faut dire qu’en ces périodes de disette pour les recettes publicitaires et les ventes au numéro, gangrenées par l’information gratuite en ligne ou papier, les éditeurs procèdent à de grands regroupements, resserrent les équipes et serrent les boulons. La presse écrite est exsangue, les équipes aussi.

Au niveau national
L’Agence télégraphique suisse (ATS) devient une agence multimédia à marche forcée. Annoncée à l’automne 2017, la fusion avec l’agence photographique zurichoise Keystone, initialement détenue à moitié par l’ATS et à moitié par Austria Press Agentur (APA), devient effective en janvier 2018. Avant la fusion, les principaux actionnaires de l’ATS étaient Tamedia (29,4%), le groupe NZZ (11,4%) et la SSR (10%). Après la fusion, APA détient environ 30% du capital de la nouvelle entreprise.
Le prix de la restructuration est la suppression de pas moins de 36 postes sur 150 dans la rédaction, avant que 9 autres postes, hors rédaction (marketing et vente notamment) ne soient promis à la suppression à leur tour au printemps 2019 pour l’été suivant.
Là aussi, l’amenuisement des forces se traduit par le regroupement voire la suppression des rubriques. Ainsi, l’ATS n’a plus de rubrique Economie et ses rubriques Suisse et Internationale ne font plus qu’une.
Pour rappel, le personnel de l’ATS avait fait une grève historique de 4 jours qui avait pris fin avec un accord sur un plan social intervenu sous l’égide du SECO.

En Suisse alémanique
En 2018, AZ Medien, qui essuyait une perte de 2,2 millions de francs, et NZZ ont uni leurs forces en créant CH-Media. La corbeille de la mariée est belle : aux titres historiques d’AZ Medien, Aargauer Zeitung, Oltner Tagblatt, Basellandschaftliche Zeitung, Limmattaler Zeitung, viennent s’ajouter ceux de la NZZ, la Luzerner Zeitung et le St Galler Tagblatt qui garde toutefois son titre phare, la NZZ et ses déclinaisons NZZ am Sonntag, NZZ Folio, NZZ Libro, pour sa chasse gardée. De son côté, AZ Medien conserve Watson. Les stations de radio et de télévision des deux sociétés, Radio 24, Radio Argovia, la télévision S1 font également chambre à part. Evidemment, cela ne se fait pas sans casse. Quelques mois après l’annonce de la création de CH-Media, la Zentralschweiz am Sonntag et l’epaper Ostschweiz am Sonntag sont balayés. La presse du dimanche s’étiole. Les éditions du samedi seront publiées sous le titre Schweiz am Wochenende. Une dizaine de postes à plein temps sont supprimés dans un premier temps, tandis que le groupe de 2200 employés – qui peut désormais se targuer d’avoir un bassin de lecteurs de près de 2 millions en Suisse alémanique, annonce vouloir supprimer 200 emplois à plein temps dans les deux ans qui suivent. Les économies escomptées sont de l’ordre de 45 millions de francs.

En Suisse romande

- Neuchâtel
Côté romand, les mots « fusion » et « suppression » sont également de mise. Le bouleversement du paysage médiatique neuchâtelois est historique. Le 23 janvier 2018, les quotidiens L’Impartial, qui symbolise les montagnes neuchâteloises, et L’Express, qui a succédé à la Feuille d’avis de Neuchâtel, le plus ancien journal en langue française au monde, paraissent sous un titre unique baptisé « Arc Info ». Ce rapprochement entre montagnes et littoral est un symbole important dans un canton où les tensions restent fortes. C’est une page historique qui se tourne. Au sein du même groupe, Hersant ou ESH Médias pour les activités suisses de l’éditeur français, le quotidien « La Côte » tire la langue. Il se réorganise et au printemps 2018, procède à deux licenciements sur ses 19 collaborateurs.

- Lausanne
Chez Tamedia, la fusion annoncée en août 2017 des rédactions de « 20 Minutes » et de « Le Matin » se concrétise en janvier 2018. Le prix à payer, dans un premier temps est de six licenciements. On connaît la triste suite : la suppression du Matin papier, lu par 218 000 Romands, annoncée le 8 juin, devient effective le 23 juillet. « L’exigence de rentabilité de 15% avait déjà été considérée comme une déclaration de guerre », déclarera le chef d’édition du titre historique, Thierry Brandt. Résultat : 36 licenciements au total dont 22 au sein de la rédaction du Matin.
L’éditeur, qui emploie 3400 personnes en Europe dont 800 environ en Suisse romande, a balayé trois alternatives formulées par les employés dont celle d’un éventuel rachat. Tamedia, dont le bénéfice en hausse de 30% à 170 millions de francs, n’a néanmoins de cesse de répéter des chiffres effarants : Le Matin a perdu 34 millions en 10 ans et 6 millions pour la seule année 2017. En outre, de 2015 à 2018, le lectorat a chuté de 26,3%. Dix-huit mois après la fin de L’Hebdo, c’est un nouveau morceau de la culture populaire qui s’en va.

Imprimeries et Régies
A en croire l’Office fédéral des Statistiques, la moitié des imprimeries ont fermé leurs portes en 20 ans. La chute drastique de la vente au numéro a une répercussion immédiate sur les rotatives, les régies publicitaires et leur personnel.
Car rotatives et régies publicitaires cristallisent les enjeux économiques de la presse.
Ainsi, au printemps 2018, la régie Publicitas annonce sa faillite. Quelques mois auparavant, c’était l’imprimerie Saint-Paul qui déclarait devoir procéder à une lourde restructuration à Fribourg. Un tiers des effectifs devait être supprimé. En janvier 2018, les imprimeries de Fribourg, Bulle et Estavayer-le-lac ont été intégrées dans une nouvelle structure avec la régie publicitaire « media f ».

  • Trois centres d’impression se partagent aujourd’hui le gâteau de la presse suisse. Tamedia et ses sites de Berne, Zurich et Lausanne qui imprime même désormais les titres de son concurrent Ringier avec la NZZ, Le Temps et le Blick. Ringier, qui a fermé son site d’impression lucernois d’Adligenswil, qui employait 172 personnes, mais conserve ses centres d’impression d’Aarau, de Sion, de Genève et du Tessin. Le troisième acteur, ESH, a, lui, investi 20 millions de francs pour créer un nouveau centre d’impression à Monthey, jugeant là que c’était le prix de son indépendance. Le directeur général d’ESH Médias, Stéphane Estival, avait expliqué à la presse : « Que ferions-nous si Tamedia décidait de fermer son centre en Suisse romande ? Si nous n’avions pas construit à Monthey, nous serions devenus des clients d’imprimeur à 100%, sans aucune maîtrise sur notre politique industrielle ».

Une transaction qui a capoté et a mené à la faillite d’une imprimerie est devenue emblématique de ce goulet d’étranglement qu’est désormais le secteur des imprimeries. La société Berner Mediencentrum AG a créé une imprimerie de presse à Bâle pour un montant de plusieurs millions d’euros. Elle comptait sur la « Basler Zeitung » comme principal client, jusqu’à ce que celle-ci soit vendue à Christoph Blocher.

A noter également un autre indicateur significatif : le papier qui, se faisant rare, devient cher. En 2000, la Suisse consommait consommait 330 000 tonnes de papier journal en 2000 contre 170 000 tonnes aujourd’hui.

Qualité des médias
Cette concentration toujours plus accrue des titres existants et des imprimeries dont ils dépendent, se ressent dans la qualité des médias suisses, comme l’a montré l’étude de l’Association fondatrice pour la qualité des médias en Suisse publiée en septembre 2018.
L’analyse de 50 médias d’information montre « une détérioration de la qualité de la couverture médiatique » de manière générale. Quinze des cinquante titres analysés voit leur qualité diminuer. Selon l’association, « les facteurs déterminants sont une orientation thématique moins équilibrée et une réduction des articles de fond ». A noter que certains titres n’ont pas été considérés comme suffisamment suprarégionaux pour être analysés. C’est par exemple le cas de la Tribune de Genève, de la Liberté ou encore des journaux du Jura.

Attaques en justice
Pour parachever ce tableau guère réjouissant de l’état du secteur en Suisse, il est à noter que plusieurs attaques de journalistes et d’éditeurs en justice sont survenues en 2018, faisant monter d’un cran encore la pression incontestable qui écrase les journalistes d’investigation notamment.
On assiste à une déferlante d’actions judiciaires de magistrats contre les titres et les rédactions comme jamais: mesures superprovisionnelles qui font taire 24h dans sa partie rédactionnelle sur un livre à paraître à propos de Mme Jacqueline de Quattro; une action judiciaire du conseiller d’Etat Pierre Maudet à Genève pour demander un droit de réponse à l’encontre de l’éditeur du Tages Anzeiger et d’un journaliste à cause d’un article qui n’a pas plu au magistrat; la plainte du Conseiller d’Etat Pascal Broulis en violation du droit de la personnalité contre le Tages Anzeiger et d’un journaliste pour des articles notamment sur sa situation fiscale; une interdiction de paraître lancée par Christophe Darbellay contre la Weltwoche et maintenant, la plainte pour atteinte illicite au droit de la personnalité du milliardaire installé dans le canton de Vaud FrédériK Paulsen sur les articles relatifs aux voyages en Russie. Pour la Secrétaire centrale, Dominique Diserens, «la déferlante de toutes ces actions judiciaires de magistrats contre des médias est un danger pour la liberté de presse».
Force est de constater que l’atmosphère n’est pas bonne : ni dans les rédactions où les journalistes exercent tant bien que mal avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, ni parmi les signatures-stars ou les cadres qui les chapeautent. Preuve en est, Tamedia a perdu deux enquêteurs romands de renommée, Sophie Roselli (Tribune de Genève) et Alexandre Haederli, et quatre des cinq rédacteurs en chef romands ont jeté l’éponge ces deux dernières années : Myret Zaki, Thierry Meyer, Grégoire Nappey, et Pierre Ruetschi qui s’opposait fermement aux politiques de restructuration menées par l’éditeur et qui s’est illustré en refusant de colporter les noms des journalistes grévistes.

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