Une i-Info, un thème. Aujourd'hui: plans sociaux.

Cette i-Info se concentre sur un seul thème : les plans sociaux. Ce n'est pas un sujet agréable, mais c'est important. La raison en est que les membres d'impressum ont fait un énorme exploit en 2018 et 2019. Ils ont ainsi créé un précédent qui profitera, à l’avenir, à tous les journalistes lorsqu'ils seront touchés par des licenciements collectifs. Pour la première fois dans notre branche et presque pour la première fois en Suisse, un tribunal arbitral a été créé à cet effet, conformément aux nouvelles règles du Code suisse des obligations sur les plans sociaux.

Pour en arriver là, il a fallu un conflit de travail auquel ont participé des centaines de collègues de la Suisse Romande. Et le noyau dur, les 41 licenciés du "Matin", se sont battus avec ténacité pendant plus d'un an. Cette étape importante n'aurait pas été possible sans cette volonté de lutter, sans la solidarité de tous les collègues qui ont soutenu et financé cette lutte grâce à leur appartenance à impressum, et sans les efforts coordonnés des sections et des secrétaires centraux.

Non seulement la norme minimale pour les plans sociaux est nouvelle, mais aussi l'i-Info ciblée sur un seul thème. A partir d'aujourd'hui, ce type d’i-info alternera avec la newsletter habituelle i-Info, qui vous donnera un aperçu des autres activités par lesquelles impressum défend les journalistes, telles que l'engagement constant en faveur de la diversité des médias, la liberté de la presse, les conditions de travail, la solidarité et le travail en réseau entre collègues ou une meilleure législation sur le droit d’auteur.

Je vous souhaite une bonne lecture !

Urs Thalmann, Directeur d’impressum

 

Décision du Tribunal arbitral dans l’affaire du Matin: pour une meilleure protection des employés

La sentence du Tribunal arbitral du 2 septembre 2019 a mis un point final à une lutte acharnée menée pendant plus de 500 jours en vue de faire valoir les droits des employés injustement licenciés du Matin à l’été 2018.

Cette sentence faisant suite à un conflit collectif de travail inédit du fait de son ampleur (1) et rendue dans un contexte juridique lacunaire (2), constitue, en matière de protection contre les licenciements, une avancée majeure en droit du travail (3).

     1. Un cadre juridique lacunaire
En droit suisse, le Code des obligations mais également la CCT de 2014 définissent un cadre général permettant de garantir un plan social en cas de licenciement collectif. Si l’évolution législative de ces dernières années a rendu obligatoire l’octroi d’un plan social, il n’empêche, qu’en dépit d’une doctrine convaincante en la matière, aucune grille indemnitaire n’avait été définie jusqu’à présent.

Désormais, avec la sentence du 2 septembre, entrée en force, les entreprises des médias qui entendent prononcer des licenciements d’ampleur devront garantir une protection effective des journalistes lésés et leur offrir des contreparties financières importantes.

Avant d’aborder le fond de cette décision, nous revenons sur les évènements qui ont précipité la disparition du Matin à l’été 2018.

     2. Les licenciements au Matin, origine de la sentence
Au printemps 2018, impressum, syndicom et les rédactions de Tamedia ont déposé une requête auprès de l’office vaudois de conciliation. Cette mesure préventive visait notamment à empêcher la disparition de la version papier du Matin. Le 7 juin 2018, le groupe Tamedia annonçait mettre fin à la version papier du Matin et le licenciement de 41 employés et proposa une consultation. Toutes les mesures proposées par impressum, syndicom et les rédactions ayant été rejetées par Tamedia, 88% des rédactions votèrent la grève qui dura trois jours. Suite à la médiation menée par le Gouvernement vaudois, d’où Tamedia se retira après trois séances, la fin de la grève fut décidée. En octobre 2018, des séances de négociations sur un plan social eurent lieu sans aboutir à un résultat, Tamedia campant sur ses positions initiales. Une tentative de conciliation fut encore initiée par Médias Suisses, en décembre 2018, sans succès. Les parties décidèrent, au vu de l’absence d’accord, de soumettre le litige à un Tribunal arbitral, conformément aux articles 43 et 44 de la CCT. Les échanges d’écritures ont été suivis par la tenue de deux audiences, l’une de conciliation, l’autre au fond, au terme de laquelle le Tribunal arbitral a rendu sa décision en septembre 2019.

     3. La sentence arbitrale, fondement d’un nouveau droit des licenciements collectifs

         a. Analyse de la sentence
Le Tribunal arbitral institué le 13 mars 2019 et composé de trois éminents professeurs de droit, dont deux avocats, a défini les contours du plan social octroyé aux 41 du Matin suite au licenciement intervenu le 21 juillet 2018.

L’objectif de ce plan social est, conformément à l’article 335 h al. 1 du CO, d’atténuer les conséquences du licenciement. C’est pourquoi il se concentre principalement sur les questions pécuniaires.

Afin de déterminer le plafond des indemnités, en l’absence de texte et de jurisprudence y relatifs, les juges se sont référés à la doctrine. Celle-ci prévoit trois échelles liées à la santé économique de l’entreprise.

  • 4-6 mois lorsque l’entreprise se meut dans un environnement requérant son adaptation au risque de devoir procéder à des licenciements ;
  • 9-12 mois pour une entreprise qui doit s’adapter mais qui dispose de larges réserves, de sorte que son avenir à moyen terme est assuré ;
  • 12-18 mois pour des entreprises dont le licenciement est principalement motivé par une course aux profits et dont l’avenir à moyen terme est assuré et qui disposent d’une large assise financière

Le Tribunal arbitral estime que si les licenciements n’étaient pas motivés par une course frénétique aux profits, il n’empêche que l’entreprise n’avait pas fait état de difficultés financières particulières qui réduiraient ses parts de marché. Il conclut alors à un plafonnement des indemnités à 12 mois. Constatant la rigueur des licenciements prononcés dans un marché de presse particulièrement sinistré, le Tribunal fixe le minimum d’indemnité à 3 mois.

Si le Tribunal considère que les indemnités seront progressives en fonction de l’ancienneté, en revanche il ne retient pas de progressivité en fonction de l’âge. Le Tribunal arbitral ajoute une bonification correspondant à un demi-mois de salaire par enfant à charge âgé de moins de 7 ans.
Les indemnités selon le plan social arrêté par le Tribunal arbitral vont de 3 mois au minimum à 12 mois au maximum. Ainsi, sur les 41 du Matin, 10 personnes reçoivent 12 mois d’indemnité, soit le maximum.

Enfin, il convient de relever que le Tribunal a mis à la charge de Tamedia tous les frais de la procédure d’arbitrage, soit un montant total de 30'000 CHF, considérant que dans cette affaire les prétentions des journalistes étaient parfaitement légitimes.

         b. Portée de la sentence
Rédigé dans un langage clair et sobre, la sentence arbitrale se distingue par la qualité et la rigueur de son argumentation. En effet, pour justifier les modalités du plan social qu’il a arrêté, le Tribunal arbitral estime qu’il est raisonnable au vu des plans sociaux adoptés dans le domaine de la presse, d’une part et de l’évolution de ce marché au fil des ans, d’autre part. S’agissant des échelles qui ont été retenues pour déterminer le montant des indemnités de départ, le Tribunal arbitral a considéré que la rigueur des licenciements conjuguée à l’absence de difficultés financières particulières justifiait l’octroi de prestations allant de 3 à 12 mois.

La décision du Tribunal arbitral en appelle à la responsabilité sociale des entreprises et dénote une véritable vision de politique sociale. Certes, le droit suisse est libéral en matière de licenciements, mais quand l’entreprise veut licencier, elle doit assumer les conséquences sociales de son acte. Le tribunal retient à ce titre « la rigueur des licenciements prononcés dans un marché de la presse particulièrement sinistré, où les perspectives de retrouver un emploi sont compromises » (p. 28 de la décision).

Dans ce sens, il nous semble que le message envoyé par les arbitres constitue un véritable progrès social.

Pour conclure, impressum se réjouit pour ses membres et pour tous les journalistes que son long et vigoureux effort ait porté ses fruits. Ce combat n’aurait pas pu être mené sans le soutien continuel de ses membres qui, par leur cotisation, financent les activités de l’association. Dans le contexte de médias confrontés à une série de bouleversements, impressum salue la solidarité qui demeure dans le milieu du journalisme.

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